lundi 23 janvier 2012

LE REVE DE CASSANDRE LYRICS (french version)


26 Août 2001, un navire de fortune perdu dans les eaux de l'Océan Indien compte à son bord 438 passagers. La plupart d'entre eux ont fui l'Afghanistan et son régime taliban, mis en place par les États-Unis et le Pakistan dans les années 80. Après avoir échoué en Indonésie, ils ont repris la mer. Ils se dirigent maintenant là où l'on ne les attend plus…

FROM HAVEN TO HELL

Les dés sont jetés. Et il ne donne qu’un nombre de plus noyé dans les eaux de la honte.
Nos vies ne sont même plus vendues au rabais, aux comptes inexacts, mais réduites à ce putain d’alphabet : « T.E.R.R.O.R.I.S.T.E. ».
C’est ainsi qu’ils appellent les « sans noms » et « les sans visages ».  
Nous rions alors, et chantons à tue-tête ces quelques vers, appris dans une vie apparemment meilleure… jusqu’à en crever :

“I m not like them, and I can’t pretend
The sun is gone but I have a right
The day is done but I still have to run
I sink; my tomb will lie under the sea”

Mourir de noyade, de peste ou de famine, peu m’importe. J’ai fui dieu, bâton en main, défiant la mer, rougie par le sang des anciens et le soleil d’Août 2001.
N’être chez soi, ni chez eux, ni chez toi, est le prix à payer pour celui qui pénètre le monde de l’entre-deux.
A quoi bon, donc, aimer ce qui s’est voué soi-même à la haine? Dieu n’y réussit même pas. Il se résigne à laisser subsister de chaque côté l’enfer.

Le sourire du condamné aux lèvres, les yeux clos, s’abandonnant aux mains de l’histoire, Ismaël se laisse sombrer dans un sommeil comateux sur l’une des planches du radeau.  
Ses rêves l’emmèneront à la croisée de chemins ; là où les vies sont comme des longs métrages sans remise de Césars ; Là où cet enfant, dont il rencontre le destin, sera, à son insu, son compagnon d’infortune. Où cet enfant, comme à un ami imaginaire, lui conte son histoire :


9TH FLOOR

La grande aiguille s’est  arrêtée sur le 11. Le temps presse. J’avale mes tartines. Les dernières miettes s’écrasent sur le sol. L’odeur du pain grillé embaume sa bouche et le baiser qu’elle dépose sur ma joue … le dernier temps mort avant que l’histoire ne se répète…
La porte se ferme sur ce 25 Mars 1911.
Dehors, le vent nous chasse comme des fétus de paille. On court, on bouscule… Il y’a ce ver qui croque la pomme de l’intérieur et qui nous défie. Il rampe au rythme de la trotteuse qui fixe ses yeux (elle ne le voit plus). On se laisse avaler. 20 minutes plus tard il nous recrache au coin de la 9eme rue.
Là il y’a l’école, ses portes closes à 8H30 et la maîtresse qui gronde en cas de retard.
Je ne l’aime pas ! Mais maman me dit que c’est la vie et que je risque de passer beaucoup de temps à faire des choses nulles, dans des lieux (de) morts, avec une gueule d’enterrement.
Elle parle alors du triangle, des portes scellées de 9H à 17H, d’une envie de fumer à réprouver, d’une envie de vivre à oublier.

(Le petit garçon à sa maman) :

- « Je t’enverrai plein de bisous à la récré, si tu me regardes par la fenêtre du triangle ! ».
- Mais il y’a la porte du 9e étage qui est bloquée, me dit elle dans un souffle qui la chasse de mes bras.

Lorsque la petite aiguille traîne sur le 4, les rires et cris de mes copains inondent la cour. Mais je m’en fous… Moi, je la cherche des yeux parmi les anges… Et elle est là ! Dans le silence assourdissant du triangle, avalée par cette lumière rouge, avec ses miettes qui en tombent et s’écrasent sur le sol.
L’odeur du pain grillé sort toujours de sa bouche, qui me dessine un baiser comme pour dire au revoir…

Une carte poussée par le vent atterrit aux pieds de l'enfant… Il la retourne et sourit. Car il sait que ça veut dire qu’elle a enfin réussi à ouvrir la 9ème porte de la Triangle Shirtwaist Company.

ROSE SCHNEIDERMAN
Ca fait une semaine que sa maman est partie. Il ne sait pas quand elle va revenir. Apparemment, la route est longue lorsque l’on traverse cette 9ème porte…
Aujourd’hui, il est là avec des dames comme sa maman au Metropolitan Opera de New York, et l’une de ces fleurs parle de ce voyage au bout de la nuit que les anges ont l’habitude de faire :

« Je trahirais leurs cadavres carbonisés, si je venais vous parler sur le ton de la camaraderie. La vieille inquisition a ses râteliers, ses moyens de domination et ses instruments de torture aux dents d’acier.
Chaque semaine, j’apprends la mort prématurée de l’une de mes sœurs.
La vie des femmes et des hommes ne vaut plus rien. La « propriété privée » sacrée nous a remplacés. Il y’a tellement de gens à postuler pour un travail, que la mort de 146 d’entre nous, ayant péris par les flammes, ne changera rien.
On donne de l’argent aux mères, aux frères et aux sœurs en deuil, comme pour se donner bonne conscience. Mais à chaque fois que les travailleurs descendent dans la rue, et qu’ils s’opposent à ces conditions de survie insupportables, la main puissante de la loi nous réprime.
Je ne peux donc plus parler sur le ton de la camaraderie, à vous qui êtes ici et souffrant de cette situation. Trop de sang a été versé. Je sais par expérience que c’est aux travailleurs de sauver leur propre peau. Et le seul moyen que vous avez de la sauver est celui d’un puissant mouvement de la classe ouvrière »
L’enfant serre fort la carte dans sa main, comme s'il serrait celle d'une amie à qui il aurait confié sa vie. Même s'il est trop jeune pour que son cœur et sa tête ne comprennent cette chanson, il sait que tout y est écrit.

THE PACIFIC SOLUTION
J’entrouvre les yeux après ce rêve étrange. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Mes joues ne souillent plus les planches de notre « Grand Saint Antoine » mais le pont d’un navire européen. Sarah me dit que ce cargo norvégien, « Le Tampa », est venu nous secourir alors que la mer était prête à nous avaler. Ici, règne un capharnaüm sans nom. Le capitaine, Arne Rinman, nous aurait sauvés hier, pendant que je visitais encore le purgatoire. Une demande d’asile a été adressée aux australiens… ils nous renvoient à l’exil, libres de mettre le cap sur l’Enfer.
L’article 33 de la convention de Genève ne vaut pas pour tout le monde : Nous sommes 500 sur un navire  affrété pour 50. La maladie, ainsi que la famine, nous guette. Mais les civilisés nous tiennent néanmoins cette promesse… que jamais nous ne foulerons leur territoire, leur « chez eux ».
(Tant il est vrai que l') On a toujours besoin de monstres à haïr, de moulins à vent à défier, et d’esclaves à évangéliser pour flatter l’âme de ceux qui pensent en être pourvus.
Ce que les humanistes du 20ème siècle ne pardonnent pas au 3ème Reich, ce n'est pas le crime en soi, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe ses procédés colonialistes ?

STARKWEATHER

29 Août 2001. Ca fait maintenant trois jours de jeûne et de pénitence sur « Le Tampa », à payer, encore et toujours, pour Babel, Sodome et Gomorrhe. L’état de siège australien resserre l’étau autour de nos vies minute après minute. C’est écrit d’avance : l’Iliade aura raison de notre Odyssée. Mais qu’importe l’épilogue quand l’histoire est écrite par des enfants que l’on ne recense pas.
Je ferai mon propre monde ; je décide ; je commence aujourd’hui. Sarah et moi aurons le genre de monde que nous voulons. Quarante ans ? Trop long ! Dix ans ? Trop long ! Il vaut mieux quelques jours avec elle qui m’aime pour ce que je suis… que l’éternité à regretter d’être ce que j’étais.
Et comme « ils » n’ont pas assez d’une vie pour nous maudire, autant rire avec elle des dix plaies et cracher maintenant sur leurs commandements.
Sur le pont, nous contemplons l’invincible armada nous faire face.
Chez eux, les menaces craquent comme de gros paquets d’allumettes et annoncent les essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.
Face à l’arrache-cœur, le dilemme semble sans appel : Vivre comme un monstre ou mourir comme un  homme de bien. Vivre d’amour et de souffre ou Crever libre de foi et de lois.

Et lors de l’assaut qui suit, la première crosse australienne qui heurte la tempe d’Ismaël lui fait perdre connaissance. C’est d’abord le trou noir, mais les visions le reprennent bientôt.
Il retrouve le jeune garçon qu’il avait laissé quelques années plus tôt au pied du Metropolitan Opera de New York. Ses traits sont maintenant tirés, et les rides marquées par les années que I.T.T. lui a prises. Il est assis avec des collègues, autour d’une table et d’un jeu de cartes…

I.NSIDE T.HE T.ROJANHORSE

La petite aiguille s’est arrêtée sur le 9. Le temps presse.
Tout se compte ici en minutes, comme le dernier souffle de la « dictature ». Car tout y est soigneusement emballé et mis entre les mains de nos chiens de garde.
Tout se compte en souvenirs aussi : ce que l’on était, ce que l’on aurait dû être, ce que l’on aurait aimé voir dans les yeux de celle que le triangle vous a prise.
Tout se compte en chiffres ; bien plus simple à discuter qu’un visage : 1 million pour Nixon, 1 de plus pour Pinochet, et bien plus encore pour préserver notre place en haut de la pyramide de l’espèce qui surpeuplera l’enfer.

(L’internationale ne sera jamais le genre humain)

Oh, non ! Elle sera définitivement celle du téléphone et du télégraphe.   
Ce soir, il est clair que l’internationale ne sera jamais le genre humain.
L’aiguille tourne au rythme de l’histoire telle qu’elle doit être écrite :

Allende prononcera ses derniers mots dans le tumulte silencieux de la démocratie
 
« Je ne vais pas démissionner (...). Je ne renoncerai pas, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. J’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain. Je suis sûr qu’il sera, au moins, une leçon morale qui punira la félonie, la lâcheté et la trahison. D’autres hommes surmonteront cette période sombre et amère »

Et lorsque, ce Mardi 11 Septembre 1973, midi sonnera tout sera fini.

Il pose le seize d’atout, remporte grâce à lui ce dernier pli, et s’en retourne à son bureau…Ce sont sur ces dernières images qu’Ismaël reprend connaissance.


LET’S CROSS THE ACHERON

Tout est fini. Sarah dort paisiblement à coté de moi,
souriant comme sourirait un enfant malade.
Elle a deux trous rouges au côté droit.
On n’aura pas eu le monde que nous voulions…
Mais jamais ils n’auront réussi à soumettre ceux qu’ils avaient eu besoin de haïr.
La junte militaire australienne nous tient maintenant en joue.
Les termes de son contrat sont clairs :

_ Soit nous acceptons de finir en quarantaine sur Nauru

_ Soit nous mangerons l’Ostie par la racine dans les eaux indiennes

Reposant maintenant sur mes genoux, le visage de Sarah me rappelle à quel point les termes du nôtre ne l’ont jamais autant été… et que jamais ils ne réussiront à soumettre ceux qu’ils avaient eu besoin de haïr.
           
REVOLUTION TONIGHT!

L’un des jeux favoris, pratiqués en terres australes par les premiers colons anglo-saxons,
aurait été l’empoisonnement de leurs hôtes ; pour leur soustraire, une fois mort,
leur peau et s’en confectionner des objets de valeur.
Je leur demande alors s’ils en accorderont au moins autant à la nôtre.
Mais Adel, absent pendant l’assaut, et surgissant de nulle part, me hurle :
« Nous ne leur en laisserons pas l’occasion mon frère »
Les canons pointent automatiquement dans sa direction.
Le sourire du condamné aux lèvres, il leur jure
de les emmener avec nous jusqu’aux portes de l’enfer.
L’espoir souffle comme le vent sur le pont.
Il caresse nos joues de son nom : mutinerie.
Adel a enclenché, dans la salle des machines,
le détonateur d’une arme arborant le sigle 9/11.

Impuissantes face à cette nouvelle donne, la panique générale se lit maintenant sur le visage des troupes ennemies. Car ne dépendra ni d’un fusil mitrailleur, ni d’une idée de la justice, dont elles se vantent d’être la main vengeresse, leur salut ; mais de la fuite face au monstre qu’ « ils » avaient façonné à leur image.
Désertant le navire comme si le diable lui-même les en chassait, elles laissent ainsi les passagers du Tampa en proie au destin qu’ils se sont choisi. Et de ce dernier acte, seule une carte de tarot, collée à l’une des planches du pont, sera le témoin.
Ismaël, la saisissant de l’une de ses mains, découvre enfin ce que le petit garçon y avait lu, lorsqu’au pied du Théâtre Métropolitain de NY, les anges lui avaient tiré leur ultime révérence…

DANCE ON YOUR OWN RUINS TOMORROW

La petite aiguille s’est arrêtée sur le 9. Plus rien ne presse maintenant.
La nuit a déjà, ici, tout avalé. Elle ne nous recrachera qu’une fois morts.
Des grésillements sortent du poste. Une histoire d’avions, de tours en feu, et d’émeutes.
La fin du monde n’est peut-être pas loin… tant mieux.
Au fond de la pièce, étendue sur le lit, elle est tout ce qu’il me reste.
Son cœur bat maintenant au rythme de l’air, chargé d’explosions et d’histoires toujours tristes à la fin.

« Mon cœur tu trembles ?! Tu tremblerais plus encore si tu savais où l’on nous emmène… »

 Le vent embrase l’appartement, et de son souffle brûlant jaillit une pluie d’étoiles.
Elle vient comme le feu, lavant les imposteurs de leurs mensonges, et laissant, comme un don du ciel, un tapis de cendres sur le sol.
La lumière du jour poursuit, quant à elle, son incursion dans les tranchées de nos vies hachées menu par la douloureuse impression d’être passé à coté de tout.
Elle inonde maintenant la pièce, baignant et berçant chaudement, seuls, ses vêtements vides…

« MAISON DIEU »

Les dés sont jetés. Nous paierons de nos vies notre insoumission aux milices, qu’elles soient au service de la « liberté », ou de « la propagation de la vertu ».
Peu importe d’ailleurs le dieu au nom duquel elles disent agir. Peu importe sa couleur, son histoire et le visage de la tyrannie dont il est l’image. Car, de l’Orient à l’Occident, dieu parle toujours une seule langue et prononce toujours les mêmes paroles.
Il est le roi de tous ceux qu’il surveille. Et son règne, personne ne le dispute…
Excepté celui qui les a, lui et ses messies sur Terre, définitivement reniés.
Des nuages lourds et chargés d’amertume commencent à s’amonceler au dessus de nos têtes. Ils sont couleur charbon, et colmatent le moindre interstice d’espoir qui pourrait s’échapper du ciel… Dieu, tu nous as damnés.
Mais, on s’en fout. Nous n’avons plus peur de toi.
Nous savons que jamais plus nous ne foulerons la terre ferme.
Nous savons que jamais plus nous n’aurons à faire à ton monde.
Car nous avons définitivement banni de notre existence ta morale, tes lois et tes commandements.
Bien sûr, tu démonteras l’Océan, souffleras contre nous une tempête, mettras à feu et à sang le navire… Mais, nous demeurerons néanmoins, et ce jusqu’à la fin, maîtres de notre vie. De notre mort.
Nous sommes l’étincelle.  
Nous sommes la sédition.
Nous sommes ceux qui à la reddition auront préféré la mort.
Nous sommes les « sans nom et sans visage ».

Entre nous, qui peut croire ce monde digne d’amour ? A quoi bon aimer ce qui s’est voué soi-même à la haine? Dieu réduit ce monde à n’être que cela. Et jusqu’à la fin il s’amusera à laisser subsister de chaque côté l’enfer.

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